Cette année 2014 célèbre à coup d’évènements médiatisés les hauts faits de guerre de l’année 1944 dans une France qui souffrait depuis quatre longues années. Les manifestations les plus pathétiques font revenir sur les lieux de mémoire (et de souffrance) les derniers des vrais participants du « Jour le plus long ». À l’exception du fameux « Commando Kieffer » les Français furent pourtant les grands absents du 6 juin 1944.

Débarquement de Provence
Débarquement de Provence

Moins célèbre, mais tout aussi réellement imposant, le débarquement en Provence sera mené par les troupes alliées dans le sud-est de la France à partir du 15 août 1944. Au contraire de la Normandie, le groupe naval d’assaut français et les commandos d’Afrique seront engagées dès le début avec de très lourdes pertes. Très rapidement les divisions françaises se battront avec efficacité pour la libération de Toulon et Marseille, épaulées par la résistance locale. Environ 260 000 combattants débarqueront dont 5 000 auxiliaires féminines, 10 % seulement étaient originaires de la métropole : Français libres, coloniaux de l’ex-Armée et de la Marine de Vichy et une majorité d’hommes volontaires ou mobilisés, originaires d’Algérie et des Protectorats voisins.

Commandos d'Afrique
Commandos d’Afrique

Parmi ces derniers, 52 % étaient d’origine maghrébine (musulmans, juifs sépharades) et 48 % étaient des Européens d’Afrique du Nord originaires de la Métropole, d’Italie, de Malte, d’Espagne, de Grèce et parfois plus loin. La colonisation du Maghreb, mais aussi les soubresauts de l’Europe (Unité italienne, Défaite de 1870, Commune de Paris, Guerre d’Espagne et même Révolution de 17) expliquent l’origine et la présence de ces Européens. La plupart sont des Français récents soit par le droit du sol en Algérie soit par naturalisation. Certains en s’engageant pour la durée de la guerre acquièrent la nationalité française, gage dans ces colonies d’une relative ascension si ce n’est sociale tout au moins morale. Pour beaucoup de ces Européens le débarquement est leur première visite dans la « Mère Patrie ». La société nord-africaine de l’époque est une société extrêmement divisée, cloisonnée avec un réel état d’« Apartheid Soft ». Des grands colons et administrateurs aux plus pauvres fellahs, on distinguait la foule des petits fonctionnaires, militaires, agriculteurs, artisans et employés. À la division sociale pouvait s’ajouter une autre liée à l’origine géographique : les Corses se situaient au-dessus des Siciliens et des Maltais, il en était de même des Juifs originaires d’Italie par rapport à ceux d’origine berbère.

Débarquement de Provence
Débarquement de Provence

À l’intérieur de cette Armée B, plus tard appelée Première Armée Française, les fonctions, les grades et les affectations n’échappèrent pas à ces statuts ethniques et sociaux. Les musulmans furent surtout affectés aux divisions d’Infanterie : le film « Indigènes » rend un hommage tardif à ces troupes souvent héroïques et meurtries. L’histoire globale de ces hommes, de cette armée, a été souvent occultée dans l’historicité nationale par rapport à l’hagiographie gaulliste et/ou communiste : Bir Hakeim, Jean Moulin, les (soi-disant) 100 000 fusillés, le Serment de Strasbourg en oubliant par exemple de rapporter qu’elle dut prêter main-forte à Leclerc lorsque les Allemands revinrent dans la ville…

Commandos d'Afrique
Commandos d’Afrique

Plusieurs raisons expliquent cette mise à distance en particulier de la part du pouvoir gaulliste. Qu’elle ait été composée en partie d’Européens d’Afrique du Nord, de « Pieds Noirs » qui ne portaient pas le Chef de la France Libre devenu Président de la République dans leur cœur est une possible explication….

Mais cette armée a aussi été très soutenue par les Américains avec qui de Gaulle eut souvent des rapports difficiles…

Jean de Lattre de Tassigny
Jean de Lattre de Tassigny

La personnalité de son chef, Jean de Lattre de Tassigny (18891952), qui aurait sans doute pu être un autre de Gaulle n’y est sans doute pas non plus totalement étrangère. Combattant valeureux de la Première Guerre, il est en 1939 le plus jeune général de France ce que n’est pas encore de Gaulle. Resté fidèle à Pétain, il est très surveillé par les Allemands pour avoir refusé d’aider l’Afrika Korps en Tunisie; à l’entrée de ceux-ci en Zone Libre, il commande à ses troupes de s’opposer aux Allemands avant d’être arrêté. Il rejoint enfin Alger le 20 décembre 1943 après avoir été promu au rang de général d’armée, le 11 novembre 1943, par De Gaulle. Il commandera avec brio l’armée B qui entre en Allemagne, après avoir franchi le Rhin, les 30 et 31 mars 1945 et y circonscrit en accord avec De Gaulle un secteur français malgré l’opposition impuissante des Américains. La campagne dite « Rhin et Danube » s’acheva au col de l’Arlberg, en Autriche. Le 8 mai 1945 à Berlin, le général de Lattre représente la France à la signature de la capitulation allemande : c’est donc un autre soldat de Verdun, où il combattit 30 ans plus tôt, qui relevait l’avilissement de Montoir…Il y avait là de quoi faire un peu d’ombre même à un grand homme…

pieds-noirs, damitio
Georges Damitio

Georges Damitio (1924-1994) qui est l’objet de notre propos est surtout connu comme sportif français ayant participé aux Jeux olympiques de 1948 et 1952 dans la catégorie saut en hauteur. Il publie en 1957, en pleine guerre d’Algérie, un roman intitulé Les Pieds-Noirs qui relate l’engagement de quelques soldats de l’Armée d’Afrique durant la reconquête de 1943-45. Le roman dont le titre sera sans doute utilisé pour désigner les rapatriés d’Algérie est centré sur le personnage de Marcier. Le roman est vraisemblablement en grande partie autobiographique. Marcier semble avoir de l’éducation, sans doute a-t-il été au Lycée, mais ne fait aucun effort pour avoir du galon : son binôme est Alvarez un Espagnol du Maroc engagé pour acquérir la nationalité française et donc obtenir une meilleure place dans la Société ce qui lui permettra d’épouser la femme qu’il aime. pieds-noirsPrès d’eux l’adjudant Mulot, sous-officier de carrière qui traite d’abord Marcier comme une forte tête. La guerre va peu à peu les rapprocher, mais ne leur permettra pas de se dire l’affection qu’ils ressentent. Le premier chapitre débute dans une geôle militaire : Marcier va y affronter à plusieurs reprises un prisonnier arabe qui chante et l’empêche donc de dormir, au final Marcier perdra le combat et s’écroulera vaincu. On peut s’empêcher d’y voir, écrit en 1957, un raccourci prémonitoire de l’histoire de la colonisation en Algérie. La distance est bien sûr de mise tout au long du roman entre les communautés, on pense à l’Etranger de Camus paru en 1942. Marcier à un moment ressent de la compassion pour les Tabors marocains saisis par le froid de l’hiver, mais ne peut ou ne sait qu’y faire. La Campagne de Rhin et Danube est racontée avec sobriété et efficacité. Ce livre vient en écho au célèbre Hussard bleu de Nimier, mais sans le ton bravache, cynique, et vif qui en ferait son charme. Là aussi, les soldats rencontrent la même guerre, l’amour, l’alcool, le danger. Nimier, écrivain maurassien, s’engagera en mars 1945 : c’est sans doute trop court pour avoir le style réaliste d’un Erich Maria Remarque ou d’un Ernst Jünger. La camaraderie qui unit Marcier et ses proches, les petites mesquineries humaines qui ne cessent jamais sont d’ailleurs proches d’A l’Ouest rien de nouveau.

À la fin, Marcier se retrouvera seul, un échec amoureux terminera son périple outre-Rhin et il apprendra sans illusion sa démobilisation prochaine.

Bataille de Toulon
Bataille de Toulon

Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur la littérature de cette époque. Ce que l’on peut rapporter c’est que ces soldats de l’Armée d’Afrique furent démobilisés sans illusion une fois devenus inutiles : les promesses de grade, de formation ou de promotion ne furent pas tenues en dehors de quelques permis de conduire militaires. Les moins chanceux crurent en un combat douteux en poursuivant l’aventure militaire en Indochine ou l’Empire commençait à craqueler.

Il y avait dans cette armée disparate, médiocrement équipée quelque chose qui rappelait les soldats de l’An 2 défendant le pays à ses frontières. Il est aussi heureux de souligner que son cosmopolitisme, qui sans doute dérangeait, annonçait l’évolution future d’un pays engoncé dans ses terroirs et ses clochers. Moins de vingt plus tard, habités d’un sentiment d’abandon, ces mêmes anciens soldats repassèrent la Méditerranée avec leurs familles, toutes communautés une fois de plus mêlées.

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Marc Gentili
Marc Gentili vit à Rennes où il exerce sa mission de médecin anesthésiste. Il est passionné par les sciences humaines et le cinéma.

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