Après s’être retourné sur son passé avec Liscorno et les balades littéraires à Rennes et Nantes, Jacques Josse, écrivain rennais, nous propose dans son nouvel ouvrage de découvrir Marco Pantani, cycliste à la carrière interrompue prématurément par les affaires de dopage et à la vie courte également qu’il a choisi d’interrompre le 14 février 2004 à l’âge de 34 ans.

 

jacques josseDans un style simple et dépouillé, et dans toute l’humanité qui est la sienne, Jacques Josse renoue avec une littérature sportive qui s’est difficilement remise de la disparition d’Antoine Blondin. Bien sûr il y a eu le Jacques Anquetil de Paul Fournel et le Luis Ocana de Hervé Bougel, le Zatopek de Jean Echenoz, mais Jacques Josse dresse un portrait attachant d’une étoile filante sportive, illuminant de courage, ayant dû subir de nombreuses épreuves douloureuses, et toujours remontant sur la selle en serrant les dents. Sauf ce jour de Saint Valentin 2004 où, acteur de sa propre sortie de route dans la descente aux enfers, il abandonne sa vie devenue trop lourde dans une chambre d’hôtel de Rimini.

acques-josse-marco-pantani-a-debranche-la-priseOn découvre ici un personnage secret, mais certain de son talent et de sa résistance au mal, victime des années noires du cyclisme devenu un spectacle demandant toujours plus aux coureurs. Pantani, héros de tragédie, nous donne une leçon de courage et d’abnégation. Jacques Josse sait se placer à hauteur d’homme dans ses courtes proses où la montagne est toujours en filigrane (les Alpes italiennes en particulier, dans un Giro souvent injustement oublié des retransmissions françaises sur les télés publiques).

Ce livre n’est ni une biographie ni un reportage, ce livre est un livre pour les amoureux du cyclisme assurément, mais surtout un exercice de style littéraire auquel se prête Jacques Josse avec le talent des mots sobres et pudiques qui touchent au cœur même les non-initiés. Prix Loin du marketing 2014, c’est avec modestie que Jacques Josse aborde le côté sombre de la personnalité d’une figure importante du cyclisme de la fin du XXe siècle. Et si le destin de ce coureur italien est tragique, Jacques Josse, en sa qualité de poète, parvient à y trouver de la lumière et de la noblesse.

Jacques Josse Marco Pantani a débranché la prise, Éditions La Contre Allée, 128 pages, 14 €

 

Extrait :

Merano, province de Bolzano, 4 juin 1994. le ciel passe du bleu azur au bleu marine. Un vent léger, presque chaud, venu de l’adriatique, s’engouffre sous les arcades de la vieille ville et dans les ruelles attenantes. la réverbération du soleil couchant sur les parois rocheuses et les sommets dentelés des dolomites donne aux monts pâles qui font face à l’hôtel une coloration rose. au bar, trois hommes finissent leur campari. l’équipe cycliste carrera est réunie dans la salle d’à côté. leur journée terminée, les coureurs prennent plaisir à se retrouver ensemble au restaurant, dans la douceur de la station thermale où Marco a signé, en fin d’après-midi, sa première victoire d’étape sur le Giro d’italie.

Tout le monde est à table, chacun recharge ses accus en sucres lents en dévorant l’inévitable plat de pâtes. les hommes ont vu leur travail récompensé. ils se sont douchés, reposés. ils ont récupéré, grâce à une longue séance de massage, élasticité des muscles et des tendons. ils se sont posés dans les jardins ou sur la terrasse, profitant de l’air pur des lieux. claudio, leader désigné au départ du tour, n’est plus dans la course pour la victoire finale à cause d’une défail- lance survenue dès le quatrième jour. il est souriant. il félicite Marco en qui il entrevoit son successeur. il le chambre également, cherchant à le faire sortir de cette réserve naturelle qui le rend souvent triste et taciturne. Marco apprécie les mots de celui qu’il vénère et sait qu’il pourra compter sur lui pour l’aider à aborder la suite de l’épreuve avec sérénité. il a de bonnes jambes. il récupère bien. il est affûté. il a vingt-quatre ans et il possède le gabarit type du parfait grimpeur : 1m72 pour 57 kg. il paraît calme et détendu et il annonce à la petite tablée qu’il remettrait bien le couvert lors de l’étape à venir, la 
quinzième, dessinée entre Merano et aprica, avec trois ascensions majeures au programme : stelvio, Mortirolo et santa cristina. chiche, répond claudio qui promet de se porter assez tôt à l’avant pour lui servir de relais au moment opportun. le directeur sportif Giuseppe Martinelli approuve. il intervient pour demander aux autres de monter doucement en pression en cours de route pour permettre au grim- peur de poche d’être le plus frais possible quand il passera à l’offensive.

Quand il s’élance de Merano, il est détendu mais peu bavard, comme d’habitude. il débute la journée en jouant au faux dilettante. il traîne longuement en queue de course et monte le stelvio, géant aux flancs râpeux qui culmine à 2758 mètres, sans puiser dans ses réserves. il se méfie des virages serrés qui débouchent fréquem- ment sur des murs pentus et casse-pattes. il faut les jau- ger au premier coup d’œil et s’adapter en conséquence. il se protège du vent. Passe en haut en milieu de groupe et se replace dans la descente. et c’est dans l’abrupt Mortirolo, à une soixantaine de kilomètres de l’arri- vée, que l’idée lui vient de sonner la charge. Personne ne l’attendait si tôt. Jaillissant du peloton de tête qui commence à s’effilocher, il décoche une flèche et prend rapidement quelques dizaines de mètres à ses poursui- vants avant de les décrocher plus encore, pédalant avec souplesse, escaladant le col en danseuse, ne s’asseyant qu’en vue du sommet. Profitant de la descente, puis de la vallée, deux coureurs parviennent à le rejoindre mais il accélère dès les premiers lacets de la montée vers santa cristina pour les décramponner au train.

L’effort en altitude ne convient qu’à quelques solitaires de son acabit. il faut du souffle, de la légèreté, de la sponta- néité, de l’harmonie dans tous les mouvements du corps pour pouvoir s’éjecter hors d’un groupe. les métronomes trop épais ne peuvent rivaliser avec ces lutins qui multi- plient les banderilles et sortent de leur boîte sans crier gare. ce sont eux les vrais rois de la montagne. avant ils se nommaient charly Gaul, Federico bahamontes, Julio Jiménez, lucho herrera, lucien Van impe. Marco semble un des rares à pouvoir prétendre se hisser à leur hauteur. il part à la conquête des sommets comme ils le faisaient. il les gravit avec fougue, en majesté. il les effleure, les respecte. il apprécie les forts pourcentages. il aime couper la pente rude des virages en épingle en ap- puyant toujours un peu plus sur les pédales. ses muscles fins répondent du tac au tac. son cœur ne s’affole jamais. il l’entend battre avec précision sous sa peau. il respire amplement. il suit à distance la moto qui ouvre la course en fendant la foule qui devient de plus en plus compacte, pressante et bruyante au fur et à mesure qu’il s’approche de l’ultime sommet. il grimpe sans se déhancher.

Après avoir basculé en haut de santa cristina Val Gardena, à 1428 mètres d’altitude, celui que l’on surnomme il diablito, en référence à claudio, son maître, que l’on appelle il diablo, se lance dans une descente époustouflante. sur route sèche et sous le soleil, on le voit à la télévision italienne dévaler la pente à plus de quatre-vingt-dix kilomètres/heure, bien en ligne, trajectoire impeccable, faisant corps avec sa machine, dans une position proche de celle d’un slalomeur, les fesses placées derrière la selle, juste au-dessus de la roue arrière. il semble seul au monde, évoluant sur une autre planète. À vingt mètres de la ligne, il coupe enfin son effort, redresse le torse, lâche un soupir, met son maillot blanc, bleu et rouge en évidence, lève énergiquement les bras en l’air puis les rabaisse, les relève à nouveau, serre les poings et esquisse un timide sourire.

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