De l’émouvant Voyage dans la Lune de George Méliès à la série Alien, thriller galactique légendaire, en passant par Apollo 13 et le cultissime et fondamental 2001, Odysée de l’espace, l’espace est l’avenir de l’homme. Un avenir à l’environnement aussi poétique que dangereux, contraignant et susceptible d’entraîner la mort à la moindre erreur. C’est dans ce cadre que la caméra du Mexicain Alfonso Cuarón évolue. Avec une grâce parfaite. Gravity est une réussite technique indéniable. Mais au service de quoi ?

Sandra Bullock et George Clooney sont les seuls survivants d’un accident involontaire mais dévastateur provoqué par les anciens ennemis de l’Amérique, autrement dit les Russes. (Un moyen de rappeler que ces derniers ne sont jamais tout à fait fiables.) Il en suit une série d’enchaînements logiques dont va devoir se tirer Sandra Bullock, laquelle incarne l’habituelle scientifique américaine inhibée qui révéle toute sa stature d’héroïne dans l’action. Pour survivre, elle va devoir à chaque situation nouvelle trouver une porte de sortie, comme le ferait un rat de laboratoire dans un labyrinthe en flamme. Dans la première demi-heure, Georges Clooney, un fringant, rigolard et narcissique astronaute, va l’y aider en la déstressant afin qu’elle apprenne rapidement à avoir confiance en elle.

gravitySi Clooney clowneyse, Sandra Bullock marche, quant à elle, sur les pas de Sigourney Weaver – avec plus ou moins de réussite. Son jeu est bon, si ce n’est les rares passages d’intensité psychologique où la comédienne peut difficilement sublimer un scénario qui frise le ridicule : notamment, un passage où elle entend les jappements d’un chien sur terre par lesquels, en les imitant, elle est renvoyée à son unité animale essentielle. Quant à l’histoire de sa petite fille morte à 4 ans, elle n’a aucun intérêt, si ce n’est de tenter d’émouvoir le spectateur à peu de frais, voire d’une manière un brin obscène. Bref, le traitement psychologique des personnages comme le scénario de Gravity est pauvre.

Cela étant dit, le traitement de l’environnement spatial séduit par sa beauté plastique. Gravity est époustouflant de réalisme. Les longs plans-séquences sont conçus comme des chorégraphies spatiales servies par une reproduction visuelle de l’état d’apesanteur particulièrement réussie. Le va-et-vient entre la perception de l’espace de l’intérieur du casque des cosmonautes à l’extérieur fonctionne parfaitement.

Prouesse technique et choc visuel certes, malheureusement le scénario de Gravity se réduit à une unidimensionnalité technique, voire techniciste. L’humain n’y apparait que comme une anecdote. Une fonction : la possibilité de changer le cours des choses, l’enchaînement logique et implacable. Modifier une série mathématique technique qui s’emballe par une intervention, un choix, une impulsion, un acte qui réoriente cette grande horlogerie qu’est le destin tracé. Le seul élément humain qui rehausse l’anecdote : les sensations d’étouffement et d’angoisse ressentis par les protagonistes.

À quoi bon la présence de l’homme dans tout cela ? En fait, elle est nécessaire. Car c’est de son essence que Gravity traite ici. Le film traduit sans fioritures la vision de l’humain que le cinéma étasunien nous sert depuis un demi-siècle : l’homme conquérant qui ne cède jamais dans l’adversité et qui a toujours la possibilité de faire un choix gagnant. A mon avis, cette vision diffusée par l’entertainment et la diplomatie culturelle américains est au service d’un conditionnement psychologique et économique des masses populaires locales et mondiales. Heureusement, les visions de l’homme qui illuminent l’art et le cinéma sont multiples.

Vous l’aurez compris, il y a pour moi plus de nourriture et de beauté sensible et intellectuelle dans un quart d’heure de l’Odyssée de l’espace que dans 1h30 de Gravity. Et c’est bien malheureux, avec un scénario digne de ce nom, Gravity serait devenu un film culte. Avec l’accélération de la technologie, dans 10 ans, Gravity sera tombé aux oubliettes.

 

Par ailleurs, il est vrai que la vision est suspendue au mouvement. On ne voit que ce qu’on regarde. Que serait la vision sans aucun mouvement des yeux, et comment leur mouvement ne brouillerait-il pas les choses s’il était lui-même réflexe ou aveugle, s’il n’avait pas ses antennes, sa clairvoyance, si la vision ne se précédait pas en lui ?  (Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit)

Gravity
23 octobre 2013 (1h 30min)
Réalisé par
Alfonso Cuarón
Avec
Sandra Bullock, George Clooney,
Genre
Science-fiction

 

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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