Dans ce premier roman, Edouard Louis exprime les brimades de sa jeunesse passée dans un petit village de Picardie. En partie autobiographique*, et fortement influencé par le moins romanesque mais très enseignant Retour à Reims de Didier Eribon paru en 2010, ce récit décrit la misère sociale d’une population rurale et ouvrière et surtout le rejet de la différence encore plus marqué dans ce milieu fermé et brutal.

Là où « pour un homme la violence était quelque chose de naturel, d’évident », là où« dans le village, les femmes faisaient des enfants pour devenir des femmes », là où l’ambition de grandes études se résume à un CAP, là où les jeunes découvrent alcool et sexe à la préadolescence, il est difficile pour un enfant d’étudier, de sortir de ce milieu. La télévision remplace l’échange familial, les devoirs ne sont pas la priorité, le patois et le langage des parents que l’auteur nous cite souvent en italique ne sont pas un bon exemple, les absences scolaires au bénéfice de l’aide ménagère sont fréquentes.

* Polémique. Alors qu’Edouard Louis suggère que ce les faits décrits par son roman sont authentiques, son entourage familial et amical de l’époque le nie. Ce roman est-il une autofiction ou un roman biographique ? L’auteur se révèle quelque peu contradictoire sur la question et incite à penser qu’En finir avec Eddy Bellegueule est une autofiction, une fiction biographique de soi, présentée au lecteur comme un roman biographique. Ce qui pourra gêner certains lecteurs dans la mesure où le pacte de confiance instauré avec le lecteur, relatif à la véracité des faits, serait hypocrite (ὑποκριτής, au sens de souffler est-il jouer ?). Toutefois, l’auteur de l’ouvrage comme certains lecteurs et critiques répondront que ce biais parvient à son objectif : décrire d’une manière cohérente et intime  un milieu sociologiques. Au lecteur de se faire son avis. (NDLR)

De plus, Eddy n’aime pas vraiment le collège où les autres se moquent de ses attitudes efféminées. Deux garçons le frappent et l’humilient régulièrement. Car un corps de fille peut passer dans un milieu bourgeois, mais pas ici où l’homme doit être fort, sportif.

Edouard Louis décrit la misère sociale où les hommes s’usent pour des petits salaires, se retrouvent au chômage quand leurs corps ne résistent plus, se valorisent par l’alcool et la violence, mais ont aussi la honte d’être obligés d’aller aux Restos du cœur ou de voir leur enfant moins bien que les autres. La misère sociale engendre aussi, pour le père, la haine raciale et l’homophobie.

Certes, les propos peuvent être violents ou choquants, mais l’auteur parvient à équilibrer la misère et l’espoir. Car, Eddy tente de déjouer les caprices de son être. « Aujourdhui, je serai un dur ». Il se répète que son corps doit s’affirmer en homme, qu’il doit par ses études et sa passion du théâtre se sortir de cet univers, s’éloigner de ce milieu et de ses deux camarades qui prennent plaisir à l’humilier.

Edouard Louis a le courage de dire peut-être de manière offensante pour sa famille, la réalité de la vie dans les petits villages. Il n’y a pas de honte à venir d’un milieu défavorisé et j’ai souvent lu aussi les stigmates d’une éducation trop bourgeoise. L’important est de savoir assumer ses origines et sa façon d’être et de toujours tout faire pour réussir la vie que l’on souhaite mener.

Dans un style simple et direct, l’auteur exhume son passé* très récent puisqu’il n’a que vingt et un ans, pour mieux se lancer dans cette nouvelle vie où il doit toujours assumer sa différence.

 

Les repas étaient faits uniquement de frites, de pâtes, très occasionnellement de riz, et de viande, des steaks hachés surgelés ou du jambon achetés au supermarché hard-discount. Le jambon n’était pas rose, mais fuchsia et couvert de gras, suintant.

Une odeur de graisse, donc, de feu de bois et d’humidité. La télévision allumée toute la journée, la nuit quand il s’endormait devant, ça fait un bruit de fond, moi je peux pas me passer de la télé, plus exactement, il ne disait pas la télé, mais je peux pas me passer de ma télé.

Il ne fallait pas, jamais, le déranger devant sa télévision. C’était la règle lorsqu’il était l’heure de se mettre à table : regarder la télévision et se taire ou mon père s’énervait, demandait le silence, Ferme ta gueule, tu commences à me pomper l’air. Moi mes gosses je veux qu’ils soient polis, et quand on est poli, on parle pas à table, on regarde la télé en silence et en famille.

A table, lui (mon père) parlait de temps en temps, il était le seul à en avoir le droit. Il commentait l’actualité Les sales bougnoules, quand tu regardes les infos tu vois que ça, des Arabes. On est même plus en France, on est en Afrique, son repas Encore ça que les boches n’auront pas.

Lui et moi n’avons jamais eu de véritable conversation. (p. 111)

Édouard Louis a 21 ans. Il a déjà publié Pierre Bourdieu : l’insoumission en héritage (PUF, 2013). En finir avec Eddy Bellegueule est son premier roman. Date de parution 02/01/2014 chez Seuil, Cadre rouge, 224 pages – 17.00 € TTC

 

 

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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