Vous avez aimé Kafka Cola, vous avez joui avec Peeping Tom, revoilà Alessandro Mercuri dans Le dossier Alvin ! Cette valeur montante du décodage arty y fouille les étonnantes et intransigeantes conséquences d’un dossier en ébullition aquaphile. Si si ! Alessandro Mercuri possède un génie pour conjuguer et conjurer les causes et effets, les faits tangibles et les mensonges tout aussi tangibles, les hypothétiques certitudes et les conséquences sans doute improbables – le tout marqué par un filigrane de certitude cimentée. De quoi nous faire avaler que la pierre angulaire de la post-modernité est bien le complot, autrement dit que le fictif est un kaléidoscope du réel, la recomposition d’une possible autre réalité et… tuti quanti ! 

Alessandro Mercuri avlinAu menu de ce magnifique livre-objet-art quelques chapitres dont : des îles et royautés (Argus Island), une grande muette et des rapports secrets, du bleu submersible et un jaune submarine, des expériences d’apophonie et de synesthésie :

Dr. Strangelove – l’assassinat de Kennedy – les îles Bikini – Alvin en Espagne – Argus Island – les sirènes – les Village People – la psyché – les hippocampes – les créatures extrêmophiles – les extraterrestres – la Guerre Froide – le Titanic – le Galathée Yeti (le fameux crabe poilu) – Ovide – Cervantes (donc) – Galatée – Pygmalion (donc) – un lac sous-marin du golfe du Mexique – Du côté de chez Swann – We all live in a yellow submarine – Assange et Snowden – That’s All Folks !

Hollywood, 22 novembre 1963, 10h30, projection test du nouveau film de Stanley Kubrick, Dr. Strangelove.
Les lumières, une à une, s’éteignent. L’obscurité se répand dans la pénombre et le silence. Puis, des ténèbres surgissent des éclairs et des flashs éblouissants ; un faisceau de lumière, de fine poussière frappe l’écran blanc d’une salle de cinéma. Au sommet d’un piédestal, haut dans le ciel, parmi les nuages, une femme apparaît. Vêtue d’une toge romaine ou en habit de soirée, la femme moitié humaine – moitié statue, femme de pierre – statue de chair, le bras levé, porte une torche qui rayonne, irradie et embrase les cieux. COLUMBIA PRÉSENTE… Soudain, une sonnerie de téléphone retentit dans la cabine de projection. Le projectionniste décroche et obtempère. La vestale cinémascopique s’éteint. Les lumières se rallument. La projection test du film de Stanley Kubrick est annulée de toute urgence. Un drame est survenu.

alesandro mercuriNé durant la guerre froide, Alvin, de son vrai nom Alvin DSV-2, est un submersible de la U.S. Navy, la marine de guerre des États-Unis. L’engin a effectué près de 5000 plongées sous-marines, au large d’îles mystérieuses et paradisiaques, mer de corail et d’azur, aux plus obscures, infernales et glaciales profondeurs. Certaines de ces missions classées « secret-défense » ont modifié le cours de l’histoire de l’humanité et celle des poissons. George W. Bush disait « Je sais que les hommes et les poissons peuvent coexister pacifiquement » : rien n’est moins sûr. Mêlant documents historiques, paranoïa nucléaire et recherche scientifique, Le dossier Alvin est une plongée dans l’univers délirant, tragique, magique et loufoque de la fiction… sous-marine.

Alessandro Mercuri monte Le dossier Alvin en suivant le journal de bord du submersible employé dans le cadre des missions sous-marines secrètes des services de renseignements américains. Maniant le détournement comme les espions manipulent l’information, il compose à partir d’archives déclassifiées, de documents et de photogralvin sous-marinaphies un « Wikileak poétique-fictionnel », récit diffracté à l’ère d’Internet où s’entremêlent sans discrimination discours scientifiques et théories complotistes, mythes et mythomanies, créatures réelles et imaginaires, eaux troubles et eau salée.

MAD. Un mot frappe à la porte. Le langage est la maison de l’être. Dans son abri habite l’homme, dixit le philosophe allemand Martin H. La porte de la maison s’entrouvre puis, comme si elle claquait des dents de peur, se referme. MAD. Un seul mot suffit pour faire sombrer l’homme dans la folie. MAD réveille la paranoïa nucléaire ou la peur bien réelle de l’apocalypse atomique. MAD n’est pas celui que l’on croit. Faux-semblant fissible, miroir radioactif, bien plus qu’un mot, MAD est un acronyme. Derrière la folie se cache le concept fondateur de l’équilibre de la terreur.
MAD
Mutually Assured Destruction
À l’acronyme atomique dissuasif de mauvais augure MAD répond l’abréviation fictionnelle de SPECTRE, organisation criminelle dont fait partie le Dr. No.
MAD vs SPECTRE ?
FOLIE contre FANTÔME ?

galathée yétiSi le chaos menace à chaque page, à l’image des fonds marins et des explorations de Jules Verne, l’onirique crée un liant qui préserve de l’éclatement et entraîne le lecteur happé dans une lecture de Voyant. Pour Alessandro Mercuri, il s’agit d’arriver à l’in-connu par un re-règlement de tous les sens.

L’armée y teste la résistance psychologique et physiologique d’hommes-grenouilles à la vie en profondeur. De l’homme, né de la mer, ovipare, puis issu d’une vie intra-utérine, l’armée expérimente en secret le devenir-poisson. Quelques rares documents déclassifiés consultables sur le site d’informations confidentielles, paranoïaques et paranormales, paranormalconfidential.org témoignent d’étranges métamorphoses. Comme l’île Argus, le site paranormalconfidential.org n’existe pas. N’existe plus. Car à peine a-t-on prononcé son nom qu’il a déjà disparu.

Alessandro Mercuri Le dossier Alvin, Editions art&fiction, coll. Re:Pacific,
septembre 2014, 172 pages, 22€50

 

alvin alesandro mercuriNé en 1973, Alessandro Mercuri vit à Paris. Auteur, concepteur et réalisateur franco-italien, il a publié des textes critiques et nouvelles en français et en anglais dans des revues dont L’Infini aux éditions Gallimard. Il est l’auteur de deux essais littéraires, entre théorie et fiction: Kafka-Cola, sans pitié ni sucre ajouté et Peeping Tom, publiés aux éditions Léo Scheer. Il codirige la revue d’art et de création ParisLike.
Du même auteur:
Kafka-Cola, sans pitié ni sucre ajouté, essai, éditions Léo Scheer, 2008
Onfray, Sade et Sarkozy – Le bon, l’obscène et le vulgaire, in L’Infini n°109, éditions Gallimard, 2010
Kiss Me Deadly, in Rouge déclic n°1, éditions La Page noire, 2010
Les aventures de Jesús Maria Veronica à Holyhood, in ParisLike, 2011
Peeping Tom, essai, éditions Léo Scheer, 2011
Kino-Porno-Pravda, un pornographe à la caméra, in ParisLike, 2012
Toxic Dream, in ParisLike, 2012
Dallas, city of Hate, in ParisLike, 2013
L’assassinat d’Apollinaire, in ParisLike, 2013
Monsieur Ces Maintenants, in L’Infini n°122, éditions Gallimard, 2013

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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