Qui sont les Voleurs de feu ? Si la réalisatrice Brigitte Chevet a failli appeler son film documentaire « Kafka au pays du solaire », elle a opté pour un titre plus radical. Concernée par les sujets écologiques, après le site nucléaire de Brennilis (29) et L’Affaire Plogoff (29), elle s’attaque aux voleurs de feu, une enquête sur l’incompétence des pouvoirs publics en matière d’énergie solaire. Brillant et brûlant !

 

voleurs de feu

La première fois que Brigitte Chevet a vu de près des panneaux solaires en Bretagne, c’était dans un champ. Elle constate stupéfaite qu’au lieu de suivre la course du soleil, ils étaient à l’arrêt !

Drôles de géants unijambistes, plantés là, inutiles et pathétiques. Cette image a été le déclencheur de mon film, qui relate l’histoire d’un gâchis français.

Partout dans le monde, l’énergie solaire se développe de façon spectaculaire. Sauf en France ! Les chiffres donnent le tournis. Les professionnels présents à la projection en avant-première (au théâtre de la Parcheminerie à Rennes) exprimaient leur amertume : ainsi Bruno Rosec est devenu « le seul installateur dans le Finistère, où il y en avait 84 il y a deux ans ». Que s’est-il passé alors que, dans les années 70, la recherche photovoltaïque française était l’une des plus performantes ? Notre pays comptait une trentaine de formateurs. Maintenant, il y en a un seul !

solaireQui a peur du développement de l’énergie solaire en France ? Qui la freine ? Brigitte Chevet avoue sa difficulté à comprendre. Elle a donc mené son enquête « à hauteur d’homme, à la rencontre des acteurs du solaire, dans différentes régions – mais surtout en Bretagne – pour filmer ceux que l’on ne voit jamais ». À des années-lumière des « experts » invités sur les plateaux de télé, le film adopte un point de vue décentralisé, à l’image de ces « praticiens » du photovoltaïque. Il compose un portrait d’une filière atypique, à la fois artisanale et industrielle. Les témoignages de ces entrepreneurs, installateurs ou fabricants de panneaux, chercheurs, autoconsommateurs permettent de sortir du cliché d’utopie irréaliste, dans laquelle on cantonne en général les énergies renouvelables.

Les mesures administratives, d’une grande complexité, n’évoluent pas et avantagent sans doute les spécialistes de la course aux subventions. C’est ce qu’exprime un pro dans le public, très critique à l’égard d’André Joffre, patron de Tecsol et président du pôle de compétitivité de développement des énergies renouvelables dans le bâtiment et l’industrie de Perpignan (Derbi). Pire encore, l’interview de Jean-Bernard Lévy, patron d’EDF, plus enclin aux investissements gigantesques (50 milliards pour la maintenance des réacteurs nucléaires, par exemple) qu’au développement des énergies douces, provoque l’hilarité du public. Elle corrobore le constat de Brigitte Chevet : « le renouvelable est une énergie décentralisée alors que le nucléaire est le propre des pays hyper centralisés ». La preuve avec les pays nordiques, la Suisse (23 % de la consommation couverte par des ressources locales) et l’Allemagne (un tiers de la consommation d’électricité en 2015 issu d’énergies propres – mais la domination du charbon et le prix de l’électricité nuancent ces résultats).

voleurs de feu
dessin de Reiser

En Bretagne, on se souvient de la grève de la faim suivie en 2011 par le jeune chef d’entreprise Franck Leborgne sur le site de la centrale solaire au sol de Saint-Allouestre (56) pour attirer l’attention sur la gravité de la situation du solaire et pour qu’on raccorde sa centrale. Nicolas Debray, directeur d’Enercoop Bretagne confirme que ce dossier est toujours bloqué, mais garde espoir de pouvoir lancer la production du site  – « on va faire une proposition à la fin de l’année ». Il explique qu’en Bretagne, grâce surtout aux barrages (la Rance, Guerlédan, Rophémel, etc.), mais aussi au solaire et à l’éolien, nous frôlons les 15 % d’énergie renouvelable. L’entreprise fondée il y a dix ans revendique 4000 clients : « on nous a mis beaucoup de bâtons dans les roues. Maintenant, les verrous sautent. On observe un changement d’échelle. Du réseau de militants, on marche vers un projet sociétal, avec davantage d’implication des citoyens et des collectivités ». Ce qui signifie : mettre un peu plus la main au portefeuille, car « actuellement, le prix de l’électricité ne correspond pas à son coût ». Une prise de conscience est nécessaire. Souhaitons que le film Les Voleurs de Feu y contribue !

voleurs de feuBrigitte Chevet l’avait dans la tête depuis 2011, mais « personne n’en voulait, à part les télés locales bretonnes. Ce n’était pas suffisant. La Cop 21 a déclenché un regain d’intérêt. Ce petit parcours du combattant s’est clos avec France 3 et Public Sénat ». La réalisatrice est-elle passée au solaire chez elle ? « On y pensé quand on a rénové notre maison, mais on s’est abstenus pour différentes raisons… En 2017, avec l’arrivée des batteries résidentielles Tesla, on va réétudier la question !

Les Voleurs de feu un film de Brigitte Chevet 1 x 52’/2016

Une coproduction Vivement Lundi ! /France Télévisions avec la participation de TVR, Tébéo, TébéSud, France 3 Bretagne, Public-Sénat, avec le soutien du Centre du Cinéma et de l’image animée et de la Région Bretagne
contact@vivement-lundi.com/02 99 65 00 74

Sur France 3 Bretagne, France 3 Normandie et France 3 Centre : lundi 24 octobre (vers 23 h 30, après le Grand Soir 3)
Sur Public Sénat : début 2017

 

L’énergie renouvelable en Bretagne : Enercoop 
6 B avenue Louis Barthou, 35000 Rennes. Tél.:  02 30 96 65 83

Une chronologie du solaire en France

1959 : pose des premiers panneaux solaires sur le toit d’un hôtel-restaurant de Perpignan, par Jean-Pierre Madern.

1970 : mise en service du four solaire d’Odeillo, par l’ingénieur Félix Trombe.

1974 : première fabrication industrielle de panneaux solaires par la Soffe (Jean-Pierre Madern). Annonce par Pierre Messmer du plan nucléaire français.

Années 70-80 : Reiser milite pour les énergies solaires – dessins, expositions.

1980 : création du COMES, Commissariat à l’Énergie Solaire en France, le premier au monde. Création du premier salon dédié au solaire, le SETSO à Marseille.

1981 : la loi sur l’énergie, initiée par le gouvernement de Mauroy, relance le nucléaire civil, avec 54 réacteurs au total.

1983-1986 : expérimentation de la centrale solaire Thémis, dans les Pyrénées-Orientales, à proximité du four solaire d’Odeillo. L’expérimentation sera abandonnée après 3 ans, faute de rentabilité par rapport au nucléaire (le réchauffement climatique et l’envol des prix du pétrole pousseront le laboratoire du Promès – CNRS – à reprendre ses recherches sur place en 2007, 20 ans après).

2005 : ouverture de l’INES, Institut National des Études sur le Solaire, en Savoie.

Juillet 2006 : 10 ans après l’Allemagne, l’État français annonce un tarif de rachat de l’électricité solaire à 0,60 €/kWh – très favorable par rapport au prix très bas de l’électricité française.

Année 2009
Les tarifs sont annoncés comme stables jusqu’à l’horizon 2012 par le ministre Jean-Louis Borloo. Les dossiers de projets en attente de raccordement s’empilent à ERDF.
En juin, Nicolas Sarkozy visite l’usine Photowatt, et annonce un projet ambitieux pour le solaire français.
En octobre, premières rumeurs sur une baisse des tarifs de rachat. La file d’attente des projets explose.

Année 2010
En janvier, première baisse des tarifs d’achat (0,50 €/kWh) sans pour autant de mécanisme de révision automatique des prix.
En juin, la file d’attente atteint 4000 MWc, dont la moitié appartenant à EDF-EN.
En septembre, nouvelle baisse du tarif de rachat (0,44 €/kWh)
10 décembre : annonce du moratoire. Gel pour trois mois de tous les raccordements. Le gouvernement, pour faire passer la pilule du moratoire, stigmatise le solaire comme étant une énergie de spéculation, sans avenir. Les médias racontent les arnaques du solaire. Flou sur les tarifs à long terme. Les particuliers se détournent massivement de l’énergie solaire.

9 mars 2011 : fin du moratoire. Le nouveau tarif de rachat est fixé à 0,30 €/kWh. Les projets sont limités à 100 kWc.

2015 : la filière photovoltaïque française a perdu 12 000 à 15 000 emplois sur 25 000, quand l’Allemagne en compte 130 000.

Les Voleurs de Feu : Diffusions à partir du 22 septembre sur Tébéo et Tébésud, du 29 septembre sur TV Rennes, le 24 octobre sur France 3 Nord Ouest à 23 h 30 (Bretagne, Normandie, Centre…). Les replays sont disponibles sur les sites de chaînes en général 7 jours après la diffusion. Et début 2017 il passera sur Public Sénat.

Actualités de la réalisatrice :

festival du film d’histoire de Waterloo, en Belgique, le 20 octobre pour L’espionne aux tableaux, Rose Valland face au pillage nazi. Le 3 novembre à Chaudes-Aigues et le 5 à Riom Les Montagnes (Cantal), dans le cadre du mois du doc, pour ce même film. Au festival du film d’histoire de Pessac, le 16 novembre. Projection publique pour le mois du doc en Morbihan. Le 20 à Arradon à 16 h et à Plescop à 17 h 30, le 22 à l’IUT de Vannes à 18 h, le 24 à Muzillac à 20 h et le 25 novembre à Sulniac à 20 h 30 à la médiathèque.

En projet, un documentaire sur le poète Yvon Le Men (Aligal Poduction).

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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