La  mise en scène d’une pièce hérocentrée n’est pas chose aisée. C’est le cas de Cyrano de Bergerac. Personnage central, tout repose sur lui. Une mauvaise incarnation équivaut un  ratage total. Ce n’est guère le cas avec cette adaptation et cette mise en scène de Dominique Pitoiset magistralement servies par Philippe Torreton.

 

Un foyer d’hôpital psychiatrique. Mobilier paramédical. Les patients portent des vêtements sans forme qui n’ont que pour fonction de cacher leur nudité. Dans un espace scénique éclaté, les personnages de ce Cyrano dérivent. Deux éléments concentrent leur attention et les lient : un vieux juke-box et un Cyrano assis dos au public. Cyrano dos au public dans un asile : l’ouverture de la pièce sonne comme une alternative à la fin mortelle prévue par Rostand et qui interviendra 2h40 plus tard. Et voilà que dans cette ambiance étrangement déphasée qui risque de glisser vers un surréalisme inappropriée, Philippe Torreton se lève, révèle sa stature de Cyrano. Crâne rasé, moustache noire, bonnet noir. Entre un boxeur popu méridional et un gros bras des Brigades du Tigre. Un soupçon d’Akhenaton et de Charlot aussi. Une version modernisée et généralisée du caractère gascon : plaisant, habile, futé, fanfaron et hâbleur. Et, bien sûr, un nez proéminent. Un traitement inattendu de la laideur, présente sans excès et, surtout, incarnée, bien incarnée.

Ce traitement scénique et psychologique réussit le tour de force d’une actualisation de Cyrano sans trahison ni du texte ni de son esprit. Mieux, Torreton restitue à son personnage les résonnances dont il put se charger au XVIIe siècle : traduction iconographique d’un individualisme nouveau – à l’intégrité excessive et aux excès d’intégrité. Un individualisme aussi séduisant que sonnant comme une mise en garde pour une bourgeoisie parisienne en voie d’affirmation entre peuple et puissants.

Petite ombre, certes ténue, au tableau de ce Cyrano de Dominique Pitoiset : l’organisation scénique. La chorégraphie et la rythmique jouent la carte du décentré, de l’éclaté, sans toujours échapper à un côté brouillon. Monter Cyrano comme les Allemands montent Shakespeare impose un dénuement servi par une parfaite fluidité dans l’alternance des décompositions et recompositions des centres et périphéries scéniques.

En matière de jeux des comédiens, si Roxane est très finement campée par Maud Wyler, la diction un tantinet loufoque de Daniel Martin pourra laisser perplexe. Quant au recours aux bites-culs-chattes-doigts d’honneur et autres postures suggestives et gestes obscènes, quoiqu’en quantité bien moindre que dans nombre de pièces servis en France depuis 10 ans, il a toujours de quoi surprendre. Certes, on peut arguer que l’effet est capteur chez le « jeune » public. Plus subtilement, le recours au rire facile aide à créer des temps de relâches qui ponctuent efficacement 2h40 de concentration. Sans doute. Toutefois, le recours à cet artifice peut susciter des ruptures tant attendues par les spectateurs que l’éclat survient à tort, voire d’une manière mécanique. Deux exemples.

Cyrano, Bergerac, Philippe Torreton, dominique Pitoiset_tnbLe premier est un contre-exemple. Aucun spectateur n’a ri à une blague potache de Guiche qui débute une phrase par « je pus » (prétérit du verbe pouvoir) tandis qu’il hume, interrogatif, ses aisselles. Mouais… Le second est révélateur. Il intervient à la fin, acte V. Alors que Cyrano révèle enfin à Roxane son douloureux secret, ce dévoilement tant attendu, ce dénouement dramatique  : « Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !», une partie non négligeable des spectateurs s’est esclaffée croyant entendre un oxymoron drolatique. Mouais…

Malgré ces légères réserves sur l’audacieuse approche scénique de Dominique Pitoiset, ce Cyrano est une réussite. Avant tout, grâce à la performance exceptionnelle de Philippe Torreton. A ne pas manquer. Jusqu’au 1er février au TNB de Rennes.

avec
Philippe Torreton (Cyrano)
Maud Wyler (Roxane)
Patrice Costa (Christian)
Daniel Martin (De Guiche)
Jean-Michel Balthazar (Ragueneau)
Bruno Ouzeau (Le Bret)
Martine Vandeville (La duègne Lise, un poète, un cadet, Mère Marguerite)
Jean-François Lapalus (Montfleury, Carbon de Castel-Jaloux, un poète, une soeur)
Gilles Fisseau (Lignière, un pâtissier, un poète, un cadet, une soeur)
Nicolas Chupin (Valvert, un pâtissier, un poète, un cadet, soeur Marthe)
Adrien Cauchetier (un fâcheux, un pâtissier, un poète, un cadet, soeur Claire)

dramaturgie Daniel Loayza
scénographie et costumes Kattrin Michel assistée de Juliette Collas lumière Christophe Pitoiset
travail vocal Anne Fischer
bagarre chorégraphiée par Pavel Jancik
coiffures Cécile Kretschmar
réalisation du nez Pierre-Olivier Persin
assistants à la mise en scène Marie Favre, Stephen Taylor

production déléguée Théâtre National de Bretagne / Rennes
production exécutive Théâtre national de Bordeaux Aquitaine coproduction MC2 :Grenoble ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Espace Malraux / Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie ; Centre National de Création et de Diffusion Culturelles de Châteauvallon ; Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines / Scène nationale

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Cyrano Torreton et Pitoiset : modernité sans trahison

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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