Ce n’est pas la première fois que Carlos Nuñez rend visite au public rennais et pour rien au monde l’assistance n’aurait raté ce rendez-vous. C’est donc dans un TNB bondé jusqu’au dernier strapontin que le célèbre musicien galicien a offert, avec une générosité inégalable, le concert de musique celte le plus étourdissant que l’on ait entendu depuis… sa dernière venue. CeltIberria !

 

Généreux, Carlos Nuñez l’est indiscutablement puisqu’avant d’entamer les hostilités il demande au public de remercier d’une ovation le travail fourni par l’orchestre symphonique de Bretagne. L’instant d’après, il hypnotise l’assistance avec « tears of stone », lancinante mélopée jouée sur une simple petite flûte de bois ; l’accompagnement à la harpe rappelle immédiatement les envoûtantes sonorités du disque : « renaissance de la harpe celtique » de Alan Stivell. La connexion est immédiate et c’est avec une « alborada », musique jouée à l’aube d’un jour de fête, qu’il entretient l’ambiance quasi religieuse qui s’est installée dans les travées. « Pilgrim’s sunrise » nous entraîne dans les pas de pèlerins de différents horizons qui se rejoignent et mêlent leurs histoires, portées par les mélodies de la harpe, de la gaïta, et de l’orchestre. Le rythme joyeux et sautillant est ponctué au tambour par Xurxo Nuñez, frère de Carlos. Pancho Alvarez, talentueux guitariste, laisse le flamenco pousser sa corne dans cette musique celte.

Pour beaucoup de musiciens, la culture celtique est source d’inspiration. C’est le cas du pianiste et chef d’orchestre japonais, Ryuchi Sakamoto, dans le morceau intitulé « Shining boy ». On y retrouve des sons qui évoquent clairement la musique de film, le nom d’Ennio Morricone vient tout de suite à l’esprit.

Carlos nunez celtiberriaIl est bon de ne pas l’oublier, Carlos Nuñez est doté d’une solide formation musicale, acquise au conservatoire de Madrid qu’il intègre à l’âge de 16 ans. C’est sur ce terrain qu’il nous entraîne avec la gigue de Pablo de Sarasate, qualifié par l’interprète de « Paganini Espagnol ». La virtuosité dont il fait preuve à ce moment est éblouissante. De toute évidence, il ne se limite pas à sa cornemuse mais démontre l’étendue de son talent.

Restant dans un registre « classique », c’est avec le très fameux « concierto d’Aranjuez » que Carlos Nuñez continue son entreprise de fascination. Il est remarquablement secondé par l’Orchestre Symphonique de Bretagne qui démontre, une fois de plus s’il en était besoin, sa capacité à s’adapter à tout type de répertoire – qu’il soit jazzy, classique, folklorique ou bien ethnique.

« Amanecer », autrement dit Lever du soleil, nous accueille après une courte pose ; cette musique du XIXe siècle, au rythme de danse agréable, nous remet en selle avec douceur. Carlos Nuñez, devenu à cette occasion un véritable pédagogue, nous explique le sens du mot « vilancico », musique de Noël, seul moment de l’année où l’entrée des cornemuses était permise à l’intérieur des églises. Un brin de transgression fait toujours frissonner…

Impossible en ce cas de ne pas évoquer les très fameux « Chieftains » et leur leader historique, le bouillonnant Paddy Maloney. Carlos parle de lui comme son maître ; maître dont le message essentiel pourrait se résumer à cette simple phrase : la musique celte est vivante et doit continuer d’évoluer ! Sa « galician ouverture » en est à la fois une démonstration et un hommage. Après une introduction sous la forme d’une longue et sombre note grave, la mélodie s’anime et nous fait traverser toutes les terres de légende, des Highlands écossais aux paysages montagneux de la Galice, sans oublier les landes sauvages et ventées du Finistère. À nous d’identifier la terre évoquée au travers de la mélodie.

Dans la famille Nuñez, le talent – et c’est heureux – ne s’est pas limité à Carlos. Son frère, Xurxo propose une œuvre des plus agréables intitulée « Marcha de entrelazado ». La montée en intensité est progressive, elle débouche sur un bel effet de scène lorsque cinq élèves de l’école de musique de Rennes entrent en procession, accompagnant de leurs trois cornemuses et de deux bombardes un orchestre frémissant d’émotion et d’enthousiasme.

Carlos Núñez , tnb, osbC’est, bien sûr, un sentiment que nous partageons tous ; en quelques instants, le concert s’emballe et perd toute mesure. La foule se lève dans un joyeux désordre et entame une danse bretonne qui envahit la scène sans aucun complexe. Le public unanimement levé joint ses doigts pour effectuer ce mouvement circulaire des bras si familier aux amateurs de fest-noz.

Le TNB est en plein délire, on y entend parfois les ricanements des facétieux Leprechaun Irlandais ou le claquement sec des castagnettes.L’ensemble devient un très joyeux « foutoir », malicieusement animé par Carlos Nuñez qui n’en perd pas une miette. Marc Feldman, veillant derrière un rideau, se trouve malgré lui entraîné dans la danse et s’il s’y prête de bonne grâce, il démontre par ailleurs peu de disposition pour entrer dans le corps de ballet…

Tout cela ne donne qu’une idée imparfaite de la bonne humeur qui a régné au TNB hier soir. Carlos Nuñez a parfaitement gagné son pari. Non seulement celui de réussir un concert et de donner du plaisir à un public conquis d’avance, mais il a démontré que des ponts existent entre la musique traditionnelle celte et la musique symphonique lato sensu. Lors des rappels, les musiciens eux-mêmes sont mis à contribution et Pascal Cocheril comme Anatol Karaev, premiers violons, accompagnent avec dextérité des mélodies irlandaises à un rythme totalement débridé.

Un seul problème : le public ne veut pas partir et en redemande ! Carlos Nuñez est un musicien qui donne, par son inépuisable générosité, du bonheur en concentré. L’optimisme qui l’anime démontre que la musique celte est puissamment vivante et heureuse.

Le chef anglais, Russell Harris, invité pour l’occasion et pour la première fois en France, n’en croit pas ses yeux et rend à l’OSB un hommage mérité en le qualifiant dans la langue de Shakespeare de « fabulous orchestra ». C’est tout à fait mérité.

Ce concert sera donné en Autriche au mois de janvier, au prestigieux Musikverein de Vienne, nous aimerions être une petite souris pour voir comment le digne et compassé public de cette vénérable institution musicale recevra un tel ouragan de spontanéité. Les fantômes de Sissi et de Frantz se mettront certainement à danser la gigue. Avec Carlos Nuñez, il faut s’attendre à tout !

Carlos Nuñez, Celtiberria, OBS
Jeudi 18 décembre à 20h
Vendredi 19 décembre à 20h
Rennes – TNB

Programme :
Tears of stone
, Trad., arr. Kjell Andersson
The Pilgrim’s sunrise, Shaun Davey
Shining boy, Ryuichi Sakamoto
Muiñeira de Sarasate, Pablo de Sarasate, arr. Carlos Núñez
Adagio Concierto de Aranjuez, Joaquín Rodrigo, arr. Kjell Andersson
Setting Sail, Paddy Moloney
Marcha do Entrelazado de Allariz, Trad., arr. Carlos Núñez, Xurxo Núñez et Hector Zazou
Amanecer (Dawn), D.P., arr. Carlos Núñez, orch. Craig Leon
Moita festa (Galician Carol), D.P., arr. Carlos Núñez, orch. Craig Leon
Galician Overture , Paddy Moloney
Reels Medley, Trad., arr. Carlos Núñez, orch. Xurxo Núñez
An dro, Trad., arr. Carlos Núñez, Xurxo Núñez et Pancho Álvarez, orch. Xurxo Núñez
Rupert’s Mambo, Carlos Núñez, Pancho Álvarez, orch. Fiachra Trench

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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