Il fallait bien les larges dimensions d’un Cahier de L’Herne pour, 11 ans après son décès, tenter de délimiter les frontières de la pensée et de l’action critiques de Maurice Blanchot. Pensée et action, dont l’influence passée qui fut toujours souterraine et presque clandestine, sont brillamment et subtilement mis en exergue dans ce roboratif Cahier. Son grand mérite tient également dans un pincement du cœur tant est mis en évidence tout ce que notre présent gagnerait à se pencher avec une cordiale intelligence sur le parcours et l’œuvre de Maurice Blanchot.
Le monde est mystère, les choses évidentes sont mystère, les pierres et les végétaux. Mais dans les livres peut-être y a-t-il une explication, une clef. (Henri Michaux, Le portrait de A.)
De son maurassisme de jeunesse, Blanchot n’aura eu de cesse de s’écarter politiquement. Moins par un besoin d’absolution que par l’exercice impérieux d’une pensée en perpétuelle « mise en demeure » :
Ainsi la philosophie commence là où le philosophe se philosophe lui-même, c’est-à-dire à la fois se consume, se détermine et se satisfait. (Novalis)

Parfait terroriste qui voue l’écriture littéraire et critique à un perpétuel travail d’autocontestation, Blanchot est également un parfait rhétoricien, partisan d’une écriture infiniment concertée, aussi consciente que possible de ses moyens. En d’autres termes, il est Terroriste car il croit en un secret enclos en l’œuvre et Réthoricien, car il sait que ce secret ne transcende pas le jeu des signes. (p.251)

Néanmoins, tout ceci vaut par et dans l’écriture, dans ce rapport au monde mystérieux et en continuel mouvement de « l’homme qui écrit », selon la belle expression de Georges Haldas. Autre point d’orgue d’ailleurs, dans ce dossier foisonnant, les pages consacrées aux rapports amicaux et intellectuels entre Maurice Blanchot et Georges Bataille. La notion de littérature comme expérience intérieure (« traversée, épreuve, péril » p. 121) éclaire sans l’épuiser mais de manière essentielle l’œuvre vitale de Blanchot.

Sans pensée, la vie est une mort, une somnolence cadavérique. Mais surtout une exigence se dévoile derrière cette certitude, la pensée vivante ne doit jamais cesser d’être questionnée, perpétuellement retournée, interrogée sur elle-même. La vie parcellaire n’est pas la vie, la pensée comme la vie n’est jamais un terrain conquis. Car, pour le dire avec saint Silouane l’athonite en une phrase que Blanchot, grand lecteur de Levinas, aurait pu faire sienne : « Ma vie, c’est l’autre. »

