Jeudi 28 avril, Bernardo Montet présente Lux tenebrae au Triangle. Artiste radical et engagé, le chorégraphe se définit lui-même comme un pur produit de la colonisation. Ses pièces traitent du colonialisme, de la mémoire, de l’identité et de la résistance. Pour Lux tenebrae, il travaille à partir du Code Noir qui régissait la vie des esclaves en France, légiférait la soumission. De la nuit émergent des corps, du chaos, la vie.

Si nous ne partageons plus certaines valeurs de notre Histoire, l’esclavage, le colonialisme, elles n’en demeurent pas moins imprimées dans nos corps. La danse de Bernardo Montet ramène à la conscience ces vestiges douloureux de notre passé. Le Code Noir de 1685 constitue une source d’inspiration de Lux tenebrae. Mais à des années-lumière du pathos, le chorégraphe fait vivre le chemin où les marques de l’aliénation sont déconstruites pour laisser le corps reprendre sa place, se déposer dans son espace et retrouver son unité.

lux tenebraeDans le salon d’une demeure bourgeoise, les convives, qui forment une petite communauté, sont traversés de spasmes, leur corps possédé, en proie à des troubles, pris au piège, envouté. Ils se débattent avec ardeur pour échapper au chemin tout tracé. La marche méditative sur le rythme hypnotique de la musique de Pascal Le Gall les mène à un arrêt brusque et total, à l’effondrement dont ils se relèveront comme l’on se réveille d’un mauvais rêve. De cette traversée cauchemardesque des ténèbres suit un court moment où l’on ne perçoit des corps que leurs frottements au sol, préambule au solo de chacun des danseurs débarrassés de leurs oripeaux devenus fardeaux inutiles, pose son âme sur la table pour une pesée à laquelle ils se confrontent sans fard.

Bernardo Montet a étudié le butô au Japon dans les années 1980 avec l’un des grands maîtres, Kazuo Ohnon. Après avoir co-dirigé le Centre Chorégraphique National de Rennes avec Catherine Diverrès, il est artiste associé du Quartz à Brest puis dirige le CCN de Tours. Il est aujourd’hui installé à Morlaix où il est artiste associé avec Rodolphe Burger au projet SE/cW (cinéma Salamandre, théâtre Entresort, et Wart pour les musiques actuelles), lieu d’arts et de recherches.

Entrez dans la danse…

 

Unidivers : Pourquoi avoir choisi de travailler à partir du Code Noir de 1685 ?

lux tenebraeBernardo Montet : Mes origines sont guyanaises et vietnamiennes et dès mon enfance,  j’ai entendu parlé du Code Noir. J’ai été assez étonné de voir l’ignorance dans laquelle étaient la plupart des gens de mon entourage, plutôt cultivés, qui ignoraient quasiment tout de ce texte. C’est un texte qui a été écrit noir sur blanc en 1685 dans lequel l’asservissement de l’autre est totalement légiféré. Bien sûr pour traiter d’un tel sujet il ne fallait pas tomber dans le pathos, et si je garde une grande rage, car nous vivons dans un monde scandaleux, les années aidant, je me sens aujourd’hui plus serein et distant avec ces sujets-là.

Je me suis également appuyé sur le film de Jean Rouch, Les maîtres fous. Avec ce film, Jean Rouch retranscrit toute l’histoire coloniale avec ces personnes qui entrent en transe. Comme dans le film, ma pièce commence avec des personnes qui font exploser la convenance et ses rigidités pour que le sauvage apparaisse; le sauvage au sens de force première. Les danseurs arrivent dans un état où la dépossession du corps leur permet d’arriver à une liberté d’être.

lux tenebraeU : Le sujet appelle un très grand engagement de la part des danseurs. Quelle est leur part de création de la danse ?

B M : Dans cette pièce, chaque interprète est auteur de sa danse. Il ne peut en aucun cas être dans la répétition de gestes qui lui auraient été dictés par un autre. Il est totalement partie prenante.

U : Alors que l’on reste dans un salon, on a la sensation de traverser différents espaces tout au long de la pièce…

B M : Il y a ce moment dans la pièce où l’un des danseurs fait des cercles à vive allure et fait ainsi exploser l’espace du salon. Il rentre dans cette ronde primitive et c’est une façon de convoquer leur peau intérieure dans ce qu’il a de plus chaotique. Le chaos est traité comme le lieu de tous les possibles. Je pense que le véritable espace de régénérescence est notre intérieur. Ce qui fait peur au politique c’est lorsque le chaos devient notre objectif, d’où les cadres posés. lux tenebraeMais d’un point de vue humain, ce chaos est très important. Tant que cet espace n’est pas régénéré, on ne peut que soit répéter, soit subir. Ce chaos pour être atteint demande un abandon qui nécessite toute une part d’initiation. C’est aller vers ce qui est important, le processus. La seule restriction que j’amène est de ne pas se faire mal ou de faire mal à l’autre. Le résultat est un moment de liberté totale.

U : La pièce laisse donc une part libre d’improvisation ? 

B M : Oui, en plus des gestes que les danseurs apportent, il y a la marche qui pose la question du temps, de la durée d’une matière. On passe d’états du corps pour aller vers quelque chose qui n’est plus que de l’ordre du temps qui fait fi de tout. Les danseurs prennent le temps que le corps se dépose. Il y a quelque chose de magique, de très poétique à prendre ce temps-là.

lux tenebrae

À noter : en première partie de spectacle, les élèves danseurs du Conservatoire de Rennes danseront un extrait de Marguerites (de l’oubli) au sujet duquel Bernardo Montet explique : « C’est l’acharnement de la danse qui débusque dans un univers dévasté une rage de croire et de vivre ».

Lux Tenebrae, Code Noir, Triangle,  avril 2016

Lux Tenebrae :  chorégraphie Bernardo Montet – interprètes Patricia Guannel, Marc Veh, Raphaël Dupin, Mohamed Ahakki, Agnès Pancrassin – composition musicale Pascal Le Gall – scénographie Gilles Touyard – création lumières Michel Bertrand — création costumes Claire Raison

Marguerites (de l’Oubli) : Texte de Nadia Chevalerias. chorégraphie Bernardo Montet — assistant-chorégraphe Dimitri Tsiapkinis — interprètes élèves en cycle d’orientation professionnelle ou cycle 3 du Conservatoire

crédit photo Denis Rion

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