La BD Macaroni voyage de l’Italie à la Belgique dans la temporalité d’un « vieux chiant » qui n’a pas vécu sa vie. À la question de savoir si accueillir son petit-fils pendant des vacances quand son existence n’est faite que de regrets est une bonne chose, Zabus et Campi répondent oui. Dans une histoire touchante et instructive.

 

macaroni-bd_editions-dupuis_zabus-campiEn feuilletant cette BD Macaroni, ce qui frappe d’abord, ce sont les couleurs dominantes, ocre, marron, rouge, comme le sont les maisons de briques du nord de la France et de Belgique. Elles sont chaudes ces couleurs et enveloppent le récit qui se déroule effectivement à Charleroi lui donnant une tonalité de douceur et de tendresse qui correspond parfaitement à l’ambiance de l’histoire. Pourtant le titre Macaroni !, au singulier, mais avec un point d’exclamation, laisse entrevoir non pas un plat à déguster, mais plutôt une interpellation, un défi, une violence. « Macaroni » c’est l’insulte proférée à l’encontre des émigrés italiens dans cette partie du nord de l’Europe par les Français et les Belges, qui reçoivent en retour le surnom de « patate-frites ».

macaroni-planche_editions-dupuisOttavio Rossetto, comme Adamo qui a rédigé la préface, est donc un de ces « macaronis » qui a fui Mussolini, espérant trouver au-delà des frontières italiennes une liberté de ne pas tuer. Une vie meilleure que lui proposaient des affiches racoleuses. Il porte en lui de lourdes tristesses qui lui font ployer l’échine et vident son regard, l’empêchant de respirer au même titre que la silicose. Aussi lorsque son petit fils, Roméo, doit venir, contraint et forcé, passer une semaine de vacances chez lui l’enthousiasme du grand-père n’est pas débordant. Celui du garçon non plus. « Le vieux chiant », à la mâchoire carrée et serrée, n’a guère envie de voir son quotidien troublé par un jeune morveux qui ne songe qu’à s’amuser et n’a que des mains de fainéant. Mais les nombreuses occasions de tête-à-tête, dans des journées vides et répétitives, vont obliger le vieux monsieur, triste à souhait, à se découvrir et à libérer sa parole. Il va raconter peu à peu, par bribes, sa vie de travailleur infatigable, marqué par la mine qui n’a laissé place qu’à très peu de bonheur. Pour la première fois certainement il va expliquer pourquoi il lui manque un doigt. Il renâcle, mais libéré, peu à peu les rêves reviennent, les rêves d’une vie qu’il aurait aimée autre, d’une vie avec des trains qui fument et sifflent, une vie plus longue avec son épouse Guilia, d’une vie en Italie. « J’ai jamais décidé de rien. Comme si cette vie n’était pas la mienne », avoue de manière terrible Ottavio à son petit fils. Affreux constat qui est en fait le véritable thème principal de cette BD avec celui de la transmission.

bd-macaroni_dupuis_campi_zabusDans les familles subsistent des traces d’ombre ou de noirs secrets qui s’effacent vite avec le temps. L’émigration n’est ici qu’un cadre qui accentue les regrets, celui de vivre hors de ses origines. En se découvrant, Ottavio libère d’autres mystères, celui de son propre fils et de sa situation familiale peu satisfaisante, et chacun exprimant ses frustrations en « avouant » ses rêves brisés va aller l’un vers l’autre plus aisément. Le père, le grand-père et le petit-fils ne vont pas faire disparaître leurs souffrances, mais vont les partager. Et les atténuer.

macaroni-bd_editions-dupuis_campu-zabusVincent Zabus explique dans sa postface très instructive combien cet ouvrage a suivi un parcours créatif chaotique, les thèmes ayant changé au fil de la création, passant d’un récit fantastique pour enfants aux mémoires d’un mineur italien, du théâtre à la BD.

Cette longue maturation permet aux auteurs d’échapper à une narration linéaire de souvenirs. La vie de mineur est magnifiquement décrite en peu de mots, mais en privilégiant des scènes anciennes qui se superposent à la vie réelle, faisant entrer la salle des pendus dans la cuisine de la maison d’Ottavio. Ce monde onirique ravivant les souvenirs est dessiné avec un talent rare qui fait rejaillir la nostalgie des temps passés. Thomas Campi dont on avait déjà apprécié le dessin et les chaudes couleurs dans Les larmes du Seigneur Afghan (1) comble à merveille les silences et les souffrances du vieux monsieur. La mise en page large et aérée permet de laisser place à la réflexion, offrant des espaces aux rêves d’Ottavio, rêves plus grands que la réalité. On a chaud sous le soleil rêvé d’Italie, mais on a chaud au cœur aussi dans cette lecture toute en subtilité.

La BD Macaroni !, comme tout bon ouvrage invite le lecteur à se poser des questions sur sa propre histoire, ses propres bilans. Que faisons-nous de notre vie, de nos rêves, de nos aspirations les plus fortes ? Pouvons-nous éviter de penser comme Ottavio que « jamais je me suis senti chez moi quelque part. Jamais. » Habiter sa vie, un défi quotidien que cette BD, tendre, mais jamais larmoyante, nous invite à relever ou du moins à accepter.

BD Macaroni ! de Vincent Zabus (scénario) et Thomas Campi (dessins et couleurs). Éditions Dupuis, avril 2016, 144 pages, 24 €

Genre : Documentaire / Biographie
Âge du lectorat : Ado-adulte – à partir de 12 ans
État de la série : Terminée
Album cartonné – 144 pages en couleurs

(1) Les larmes du seigneur Afghan; collection Aire Libre chez Dupuis. Parution mai 2014.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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