Dans Babybatch Isabelle Coudrier rappelle qu’il est souvent plus facile de courir les chimères sur les réseaux sociaux, de s’intégrer dans un groupe virtuel ou de s’enticher d’un personnage médiatique que d’oser comprendre les gens qui nous entourent… Et si l’on décrie souvent les adolescents pour leur addiction à Internet, lequel d’entre nous peut se targuer de ne pas chercher la reconnaissance dans un groupe virtuel ?
Dominique, fille unique
Avec un prénom décalé, Dominique est une jeune fille à la fois semblable à toutes les adolescentes, mais aussi particulière. D’un physique plutôt ingrat, elle assume pourtant ses cheveux roux et ses taches de rousseur. Elle est une très bonne élève, plutôt sage et solitaire, mais toujours prête à aider son prochain. Elle n’aime pas le soleil et préfère de loin le calme et l’hiver. N’a-t-elle pas rêvé de vivre dans un sanatorium ?
Son seul réconfort est de suivre la vie de son Babybatch. C’est ainsi qu’elle nomme l’acteur britannique, Benedict Cumberbatch, découvert dans la série télévisée et contemporaine de Sherlock.
Sur nulle chose Dominique n’était pas capable de se faire une opinion ferme, et tout lui paraissait indécidable. Elle se tourna alors, en pensée, vers son Babybatch, qui seul la rassurait et la réconfortait. Il était comme un astre, mais doux et qui ne l’eût jamais brûlée.
Dans un environnement où chacun plonge dans la solitude de son quotidien, Dominique se raccroche de plus en plus à la vie trépidante d’un acteur en vogue.Elle se lie d’amitié avec Rachel, une trentenaire fan de Cumberbatch qui gère un site de l’acteur.
Parfois il lui semblait impossible de faire quelque chose sans en rendre compte par un tweet, ou une photo sur Facebook. Avait-elle besoin de témoins ?
Bien qu’elle se pense au-delà de l’admiratrice sauvage, Rachel est la parfaite caricature de la groupie. Femme active et intelligente, elle se comporte comme une gamine face à son idole. Dominique est plus lucide, mais ne peut qu’envier la liberté de cette femme qui vit entre Paris et Londres.
Quel contraste avec son environnement habituel !
Charlotte, la mère est complètement dépassée par les nouveaux moyens de communication. George, le père s’éteint dans un travail routinier de conseiller bancaire qui l’ennuie. Monsieur Artus, professeur d’anglais vit dans un nuage de fumée une vie de célibataire taciturne, si effacé que ses cours en deviennent inaudibles. Paul Rissac, un des meilleurs élèves de sa classe s’éloigne progressivement du fait d’une grave maladie. Muriel, le seul être un peu solaire de son entourage l’évite désormais.
« Il existait bien des manières de gâcher sa vie, il s’agissait de trouver la bonne. »
L’amour et l’idolâtrie, l’« obsessive Cumberbatch disorder », la communion collective sur les réseaux sociaux deviennent le quotidien de cette jeune fille qui, pourtant reste à l’écoute distante de son ami ou de son professeur.
Comme si « elle cherchait en dehors d’elle-même une raison d’exister. », Benedict Cumberbatch devient sa « porte de l’espérance », celle que Monsieur Artus ne pourra peut-être jamais trouver.
Dans Babybatch Isabelle Coudrier dresse une belle image de l’adolescence où Dominique s’épanouit davantage dans le virtuel. A la fois sage et enfantine, notamment avec l’amour de ses chats, elle entrevoit pourtant par le biais de Rachel, les espoirs d’une vie plus libre et plus riche où elle pourrait suivre l’acteur de ses rêves. Mais elle reste aussi proche des autres sans jamais toutefois être suffisamment à leur écoute.
Dans un style soutenu, avec un rythme lent et un oeil perspicace sur le monde adolescent, Isabelle Coudrier nous plonge dans un univers assez mélancolique où le rêve fait parfois passer à côté des exigences plus sombres de la vie.
Roman Babybatch Isabelle Coudrier, Editions Seuil, 400 pages, 21 €
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