La maladroite, premier roman d’Alexandre Seurat, évoque avec justesse toutes les apparences trompeuses qui s’accumulent et qui forment l’alibi courant, si banalement commun, des aveuglements face à l’enfance maltraitée. Un vrai roman qui, par le truchement d’un destin unique et singulier, nous parle, sans fausse pudeur, d’une réalité atrocement collective.
Quand j’ai vu l’avis de recherche, j’ai su qu’il était trop tard. Ce visage gonflé, je l’aurais reconnu même sans nom — ces yeux plissés, et ce sourire étrange — visage fatigué —, qui essayait de dire que tout va bien, quand il allait de soi que tout n’allait pas bien, visage me regardant sans animosité, mais sans espoir, retranché dans un lieu inaccessible, un regard qui disait tu ne pourras rien, et ce jour-là, j’ai su que je n’avais rien pu.

Que peut-on faire face à un père « courtois et cordial » qui répond à toutes les questions sans embarras, à des enfants qui « défendent » leurs parents allant jusqu’à répéter indéfiniment les versions parentales ? L’indignation s’installe face aux mises en scène familiales et à l’impuissance des acteurs sociaux.
Alors j’ai cité les blessures une par une, et pour chacune ils avaient une explication — rigoureusement la même que la petite. Ils étaient même capables de détailler les circonstances de chaque situation, et de situer chaque membre de la famille dans chaque circonstance. J’ai tout noté, je les ai remerciés, ils sont sortis, je n’aimais pas ça.

Et pourtant, face à cette voix authentique, le lecteur est indigné, bouleversé, hanté comme les protagonistes par des cauchemars d’impuissance envers cette petite frimousse gonflée de douleur qui ne reproche rien et demande juste un peu d’affection. Avec ce premier roman, Alexandre Seurat nous rappelle les nombreux cas d’enfants maltraités dans un environnement parfois aveugle ou impuissant.
Agrégé de Lettres modernes, Alexandre Seurat enseigne la littérature à l’université d’Angers. En 2010, il a soutenu une thèse de littérature générale et comparée à la Sorbonne, sur « Le roman du délire. Hallucinations et délires dans le roman européen (années 1920-1940) ».
