Avec 2 automnes 3 hivers, Sébastien Betbeder résout tous les problèmes sur lesquels son précédent film achoppait, à savoir des comédiens français lymphatiques ne parvenant pas à porter dans leur jeu la part de mystère de l’histoire qui nous était contée, et un certain esprit de sérieux, en tout cas une absence d’humour un peu pesante, sclérosante, qui faisait de Je suis une ville endormie (devenu au cinéma Les nuits avec Théodore) un film en demi-teinte, original, certes, et prometteur mais pas abouti. La résolution se fait d’ailleurs par un même biais : Vincent Macaigne charge chaque plan de son étrange intensité, assume tous les décalages, toutes les situations les plus étranges, et donne aux autres acteurs, moins doués mais pas mauvais, la note, comme Gérard Depardieu dans les années 70/80, avec cette même générosité, cette même puissance de contamination.

Vincent Macaigne, Maud Wyler

L’histoire de 2 automnes 3 hivers est belle et dit quelque chose de ce nouveau cinéma français qu’on voit éclore avec des cinéastes tels que Antonin Peretjatko, Justine Triet, ou Guillaume Brac (dont le dénominateur commun serait Macaigne, puisque tous ont tourné avec lui) : quelques trentenaires se demandent, « ma vie sera-t-elle heureuse, sera-t-elle triste? » Impossible, au fond, de savoir. C’est l’indéterminé – et la mélancolie qui en résulte – qui prédomine. Un coup de couteau dans le ventre donne naissance à un amour, un enfant à une rupture… Les comédies dramatiques n’existent plus, ne doivent plus exister, ou du moins plus telles qu’on les connaissait, à savoir dosées, équilibrées, dressant des murs entre le drame et la comédie. Dans 2 automnes 3 hivers, les deux surgissent en même temps, dans le même plan, sur le même visage. C’est peut-être Tchekhov, l’inspirateur, l’ancêtre de cette nouvelle génération de cinéastes, qui font en sorte que les scènes de leurs films échappent aux classifications, et puissent être perçues, par les différents spectateurs, de différentes façons.

Sans pour autant que l’humour soit tiède, ou que la tristesse soit sobre. Les éclats de rire, le grotesque, le burlesque parfois, défrisent la chronique sentimentale, laquelle n’a rien de banal, puisqu’elle est question de vie ou de mort. Rien de banal, et pourtant, 2 automnes 3 hivers s’inscrit dans la banalité la plus crue, le quotidien, les références culturelles d’une génération, la géographie d’une ville, d’un pays. Peu importe, car ces références ne sont que des rendez-vous (l’expo Munch à Beaubourg, par exemple, n’est qu’une façon de parler du regard, de la dépression qui cerne les personnages, de la folie qui les caresse), et cette banalité n’est pas triviale, car toujours surmontée par le burlesque qu’elle suscite (la scène au Simply Market, en ce sens, est une vraie réussite), et toujours sublimée par ce qui semble primordial dans le regard du cinéaste, à savoir l’être. L’être, et son indétermination, puisque son existence, relativement morne, ne dit pas assez bien sa vie. Betbeder dépeint un monde où l’existence, l’action, ont été vidées de sens. Un monde où dire le travail qu’on fait ne dit rien de nous. Où la fonction n’est pas la vérité. Où la vérité est toujours ailleurs, mais inatteignable, et irréelle parfois. Un monde terrible en somme, sans transcendance, mais sans matérialité satisfaisante non plus (sans même le rêve d’une matérialité qui le serait).

2_automnes_3_hivers

Ni spiritualiste, ni réaliste, le film de Betbeder trouve toute sa puissance dans le flou qu’il organise. Les sorties de corps des personnages (où Macaigne retrouve son père mort au milieu d’une vaste étendue de neige, notamment) auraient pu être des moments de cinéma factices. Il n’en est rien. Car ce n’est pas tant la magie qui est convoquée ici (ou la fameuse croyance du spectateur), que les impressions et les émotions que cette magie suscite. 2 automnes 3 hivers est un film gorgé d’affects, débordant, et laissant à ceux-ci toute la place qu’ils méritent, et que le cinéma français, depuis tant d’années, tente de circonscrire. Il n’est pas question de croire ou pas aux pouvoirs de télépathie de la soeur du personnage incarné par Bastien Bouillon, mais seulement de comprendre ce que cette télépathie provoque chez les personnages, dans le récit, dans l’image.

Cet indéterminé, que le film assume totalement, laisse à ces décrochages la possibilité d’advenir sans pour autant qu’il soit question de genre. Ce n’est pas parce que les morts apparaissent que le film doit devenir fantastique. Il reste absolument sentimental, focalisé sur son sujet, jamais dépassé par l’ampleur d’une idée, et au contraire tout à la réalisation de celle-ci, et à l’observation de ce qu’elle suscite. La liberté de ton du film est particulièrement stimulante, et Betbeder trouve des solutions cinématographiques minimales mais heureuses à chaque ligne de son scénario très découpé, précis comme une partition.

 2 automnes 3 hivers de Sébastien Betbeder, avec Vincent Macaigne, Maud Wyler, Bastien Bouillon, Audrey Bastien, Thomas Blanchard, Pauline Etienne, Jean-Quentin Châtelain

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Antoine Mouton
antoine.mouton [@] unidivers .fr

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